Renaissance

« Ode à la vie »

Lucile Dmitrieff

Cela commence par un constat: je ne suis plus là. J’ignore où je suis mais je ne suis plus là. Je vois toujours mais je ne ressens plus. Je suis spectatrice de tout, même de moi même.

Ca flotte, ça n’a pas de dimension, ça ne soutient pas mais ne détruit pas non plus. C’est l’absence.

Je pense du mal de moi même. Je n’ai plus de prise sur cette réalité. Je suis impuissante. L’impression d’être moins que rien. Pourtant j’existe, je me vois faire, je m’observe. Je suis une sorte d’ectoplasme.

Au début je me dis que je vais me laisser descendre pour toucher le fond et remonter; trouver une prise. Il n’y a pas de fond. Qu’est-ce que je fais ? Je n’ai pas d’appui pour agir.

Je vois le danger. Je pourrais ne pas remonter. J’observe. Il y a peut-être quelque chose à voir ou à remarquer qui pourrait m’aider mais tout n’est qu’ombre sans force et sans énergie.

Je me vois faire, je me vois être et ne pas pouvoir agir. Je reste lucide, tout ceci n’est pas normal. Elle est où la sortie ?

Je réfléchis. J’y arrive encore et je me dédouble. Je vois encore le monde même si je peux à peine y agir. Je me lève quand je peux, j’ai perpétuellement l’impression de m’évanouir. Mais non, je suis toujours à peu près là. Je vais en cours mais je perds la mémoire, le temps se dilue mais je parle encore aux gens. Un peu. J’ai du mal à articuler, je ne parle presque plus. Cela va mal finir.

A qui parler ? On ne me comprend pas et je ne sais pas quoi dire. Je refuse les médicaments, je veux rester lucide. C’est ma seule porte de sortie. J’observe seule ce qui m’arrive. Je n’ai presque plus de lien avec l’extérieur. Je flotte à l’intérieur de moi.

Pourtant je veux vivre. Je le sais. Je tais la voix qui veut mourir. Je ne dois pas l’écouter. Jamais. Une seconde d’inattention et elle m’emmène. Je résiste de toutes mes forces.

Il faut que je comprenne ce qui m’arrive. Où est Dieu ? Où est la lumière ? Plus rien ne répond. Il n’y a plus personne. Rien de vivant en tout cas. Juste des espaces qui ouvrent d’autres espaces. C’est sans fin.

Comment vais-je m’en sortir ? J’observe mes pensées, j’en cherche de meilleures. Il me faut une issue et les années passent. J’essaie de faire illusion mais le danger reste là. J’ai perdu tout contrôle.

Je réagis comme je peux. Je fais beaucoup de sport. Je dois sentir mon corps pour ne pas disparaître. J’ai la foi malgré tout, il y aura une issue. Je cherche dans les textes. Les philosophies. Je suis dans ma tête, je cherche à comprendre.

J’invente des solutions, j’affronte les forces qui sont là. Je les regarde en face, les force à se lasser. Elles viennent et elles reviennent mais je trouve quelques repères dans cet espace sans limites. J’en reconnais certains stratagèmes, je me fais moins avoir mais ça dure et ça dure et je suis épuisée.

Plusieurs décennies ont passé. Les forces perdent de leur force. J’ai tellement réfléchi que j’en vois les limites. Les idées ont un bord et je suis mieux armée.

Et puis ça s’adoucit, j’en ressens la pureté. Quelque chose de bon s’approche, quelque chose qui me voit.

Je renais. Je ne sais pas à quoi mais je renais. Pourquoi ? Comment ? Je ne sais pas. Mais quelque chose se passe, on se soucie de moi. L’amour semble me rejoindre et je sors de l’abîme.

La vie est à nouveau là mais je ne sais pas comment faire. Tant d’années ont passé et je me réveille tout juste. La vie n’a pas changé, elle est toujours la même aussi belle et puissante. Mais moi je suis une autre, et c’est celle que je suis devenue que la vie interpelle.

Je la regarde enfin avec cet air étrange de celui qui retrouve la vue, l’odorat ou l’oreille. Ce que je sens est neuf, ce que je suis est là, pas tout à fait incarné mais indéniablement proche. Ma vie regarde la Vie, la contemple sans peur. Elle est sans amertume, un nouveau face à face. Elle me prend et me lave peu à peu des angoisses. Je sais qu’il faut du temps, j’ai souffert si longtemps.

Je suis reçue nouvelle, comme un don à moi même. Je découvre une vie qui en moi se déverse; la présence en moi d’un être qui révèle sa présence. Cette puissance est si belle, elle est aussi si proche, elle semble me connaître de façon si intime. Elle se laisse contempler avec une telle douceur que je semble ressentir l’infini d’un sourire. C’est l’Ami qui revient, celui qui en moi m’aime, et qui par sa seule existence me fait tout pardonner.

La vie revient à moi comme elle était partie, me rendant propre et nue, innocente et ancienne. Je retrouve mon souffle, surprise qu’il existe, je retrouve le lien qui me relie au monde.

Ma douleur s’estompe, on dirait qu’elle s’en va comme si elle avait achevé son travail. Elle me rend mon désir. Et je regarde le monde, je le vois tel qu’il est. J’en reconnais toutes les règles mais je ne les suis plus.

Mon regard a changé, je ne suis plus la même, on dirait que j’ai vu ce que mon âme sait voir.

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J’ai écrit ce « poème » comme on dépose un songe pour mettre en mot le cri, l’impuissance et la peur que j’ai pu traverser quand j’ai croisé la mort. J’ai voulu vous faire voir jusqu’où l’on peut descendre et tout de même revenir, quand le feu disparaît et que l’esprit se brise. Chaque chemin est unique, chaque conquête également. Votre rêve n’est pas mon rêve, mon défi pas le vôtre.

Mais il est un périple que nous devons tous entamer lorsque l’âme est coincée et qu’elle doit trouver en elle même ce que la vie se refuse à donner. Lorsque l’esprit se brise et qu’il lui faut trouver ses solutions ailleurs, la mort fait son travail pour lui fermer la porte à tout ce qu’il connaît. C’est dans ces moments là que tout en nous s’absente et que notre vie peu à peu semble n’avoir plus d’intérêt. Je connais trop la douleur que peut causer la mort quand elle nous initie, pour prétendre qu’elle est peu de chose et que par un simple lâcher prise tout va pouvoir s’arranger. Cette voie est un combat mais aussi une Rencontre et c’est de ceci dont je voulais parler. Ce qui se passe en nous et avec quoi nous luttons va nous donner la vie lorsqu’elle aura fini. Il y aurait mille façon de parler de tout ça, j’en ai choisi une qui j’espère vous aidera.

Alors soyez confiant si souffle la tempête, le voyage a une fin et il en vaut la peine.

C’est avec certitude que j’en peux témoigner.

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Je vous laisse en la compagnie de notre ami « Jacques Prévert » et de sa merveilleuse imagination..

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